Sur l’archipel écossais des Orcades se trouvent des sites historiques parmi les plus anciens au monde. Des découvertes datant du néolithique qu’une sortie du pays de l’Union Européenne risque de fragiliser.
Aujourd’hui, difficile d’imaginer que ce petit archipel au nord de l’Ecosse au climat rude, frappé par les pluies et les vents, abritait il y a plus de 5000 ans l’un des centres névralgiques de l’âge de pierre, puis de bronze en Europe. Un rayonnement culturel, religieux et technique qui s’est étendu sur le continent, par exemple en direction du fameux site de Stonehenge, en Angleterre. Les archéologues jugent probable que ce cercle de pierres soit l’oeuvre de voyageurs ayant foulé le sol orcadien. Aujourd’hui encore, mégalithes, tombeaux et autres vestiges ponctuent le paysage de l’île.
Ces vestiges de l’âge de pierre, « le cœur néolithique des Orcades », sont inscrits depuis 1999 au patrimoine mondial de l’Unesco. « Avec la qualité de la préservation, on a des vestiges incroyables pour connaître la vie de ce peuple à l’époque », se félicite Martin Carruthers, professeur à l’institut d’archéologie des Orcades et directeur des fouilles des Cairns Broch.

La richesse archéologique de l’archipel est devenue l’une des vitrines majeures de cette île écossaise. « Aujourd’hui, 53% des touristes viennent pour l’archéologie, en 2000 ce n’était que 8%, explique Julie Gibson, archéologue et professeure elle-aussi à l’institut d’archéologie. « Ces sites sont une importante ressource économique et visuelle pour l’île », confie-t-elle.

Des sites menacés par l’érosion
Julie Gibson s’inquiète pour un grand nombre de ces sites : « un tiers des sites connus s’effondre dans la mer à cause de l’érosion. » En 2012, elle publie un livre de photos, « Rising Tides Revisited, the loss of coastal heritage in Orkney » (La montée des marées repensée, la perte de l’héritage côtier des Orcades) pour mettre en lumière le risque du changement climatique pour les vestiges de l’archipel. Beaucoup se situent à proximité de la côte, comme l’ancien village de Skara Brae.
« Plus d’un millier de sites sont en danger. Avec de grands investissements nous pourrions en sauver un ou deux, mais nous ne pouvons le faire tant que personne ne veut débourser d’argent. » Julie Gibson dresse ce triste constat et s’inquiète du futur : « c‘est le genre d’aide que nous espérions d’un fonds de l’Union européenne. » L’archéologue souhaiterait par exemple voir ériger des murs de protection au niveau de la baie pour éviter les fortes vagues. « Mais personne ne veut prendre la décision, c’est beaucoup de travail et de recherche.»

L’inconnu pour les recherches futures
Des nombreux sites archéologiques à ciel ouvert, comme Skara Brae, bénéficient déjà de fonds de l’Union Européenne. D’autres, encore en fouille, profitent d’autres fonds européens. Martin Carruthers dirige l’une des fouilles archéologiques de l’archipel débutée en 2006, le site de Cairns Broch sur l’île de South Ronaldsay. « Nous ne percevons pas directement de ressources européennes mais les structures nationales et locales qui nous soutiennent en touchent. Nous sommes dans l’inconnu, nous ne pouvons rien planifier. » Chaque année, le site de fouilles postule à plusieurs bourses, mais cette année et les prochaines sont remplies d’incertitudes. « Bientôt, l’état des financements pour l’archéologie va malheureusement changer radicalement », souffle Martin Carruthers.

Dans les couloirs du département d’archéologie, les accents des étudiants internationaux s’entremêlent. Anglais, Français, Allemands, Autrichiens ou Italiens, les étudiants viennent des quatre coins de l’Europe et du monde. Parmi eux, deux Françaises, Marion et Farah, étudiantes en master. Elles craignent de voir leur futur au Royaume-Uni s’assombrir. « On se dit que nous avons eu de la chance d’être entrées avant le Brexit, même si on se sent prises au piège pour la suite », confie Marion.
Chaque été, le site de fouille dirigé par Martin Carruthers rassemble une soixantaine de personnes, en majorité des étudiants. Certains étudient déjà à l’institut d’archéologie, d’autres sont présents pour un semestre en Erasmus, d’autres en candidat libre. « On craint la baisse des candidatures, notamment européennes », explique Martin Carruthers. « Il faut voir cela aussi comme une mission diplomatique. Ces étudiants étrangers partagent nos recherches et notre archéologie, s’ils ne viennent plus nous perdons un lien avec l’Europe. »

Un nouveau modèle de développement
Dans son bureau, Julie Gibson dresse la liste des problèmes qui pourraient frapper l’héritage archéologique de l’île. A la baisse des dotations, la peur d’une sortie de l’Union européenne pour l’université et du changement climatique, s’ajoute la question du changement dans l’agriculture. Cette conséquence indirecte du Brexit l’inquiète tout particulièrement.

Aux Orcades, l’agriculture, aidée par des terres fertiles, occupe une grande place dans l’économie. On y cultive de grands champs et y élève moutons et bœufs. Des terres riches elles aussi en vestiges néolithiques, découverts ou non, car la majorité sont situés sur les terres d’agriculteurs. « Ces propriétaires ont toujours été très respectueux des sites, par respect de leur héritage, mais aussi par peur de déranger des esprits », sourit Martin Carruthers.
Avec le Brexit, cette situation de coopération et de respect pourrait changer du tout au tout, selon Julie Gibson. « Sans leurs subventions européennes, j’ai peur que les fermes soient obligées de produire beaucoup plus et de façon plus intensive, au risque d’endommager l’archéologie. »
Le développement à n’importe quel coût, un leitmotiv qui se profile à l’horizon du Brexit. Et une question qui se pose : l’archéologie des Orcades fera-t-elle partie de ses dommages collatéraux ?
Pour en savoir plus si l’héritage néolithique des Orcades, Quitte ou Double vous conseille le très intéressant documentaire diffusé sur Arte : Orcades, un pèlerinage néolithique, réalisé par : Agnès Molia et Raphaël Licandro
